Journal d'Aërwen - Jour 5


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5ème jour de la Décade du Panda.
Quelque part dans la Marche de l'Ouest

Ce qui s’est passé est stupéfiant. Cela s’est passé il y a plusieurs jours, et pourtant j’ai toujours du mal à le croire, et plus encore à le comprendre. L’humain est descendu peu après le lever du soleil, en regardant autour de lui d’un air désorienté. J’ai senti tout de suite quelque chose n’allait pas. Son regard était comme vide, sans esprit. En bas de l’escalier, il est tombé à genoux, en balbutiant quelque chose. Une humaine l’a aidé à se relever, il l’a regardé d’un air étrange et a articulé avec difficulté ces quelques mots dérisoires :


« Jorian… mon nom est Jorian… »


Visiblement, c’était la seule chose dont il se souvenait. Pour que l’effet soit si puissant, il aurait fallu que je ne mette pas une, ni deux, mais quatre ou cinq pincées de feuillargent. Je ne me trompais jamais dans mes potions, mais la veille, ma rage et mon désespoir étaient tels que j’avais du multiplier les ingrédients par mégarde. L’humain a erré dans l’auberge en apostrophant les clients mal réveillé, est passé devant moi sans me voir, puis est sorti dehors.

J’aurais pu fuir loin de cette auberge maudite à cet instant, mais mon instinct, ou peut-être ma curiosité, m’a poussé à rester. J’ai suivi l’humain dehors. Brusquement, il s’est retourné, à écarquiller les yeux en me dévisageant et s’est exclamé : « Dame Aërwen ». Il se souvenait de moi. Il avait tout oublié, sauf moi. Pire encore, comme je ne tardais pas à m’en apercevoir, sa mémoire disparaissait comme par magie toutes les cinq minutes, l’empêchant de retenir quoique ce soit, si ce n’est mon nom et mon visage. La dernière chose qu’il avait vu en avalant la potion.

Une profonde culpabilité m’envahit soudain. Par cette simple erreur de dosage, j’avais anéanti tout son passé, et par conséquence tout espoir de futur. Bien sûr, il n’était qu’un simple membre d’une race inférieure, mais c’était tout de même un être vivant, une création de la Nature, et mon rôle en tant que druide était de protéger la vie et de détruire ce qui s’opposait à elle. L’humain me dévisageait avec une profonde perplexité, se raccrochait à moi comme au seul repère de son existence. Qu’allais-je faire de lui ?

Brusquement, une idée me traversa l’esprit. Pour que l’humain ne devienne pas un poids, je pouvais en faire un outil. Ce n’était peut-être pas très moral, mais ça l’était déjà plus que l’abandonner à son triste sort. Il me suffisait de lui inventer un passé qui le lie à moi, un but qui le rapproche du mien. Il semblait prêt à croire tout ce qui je voudrais bien lui raconter. Je le prenais par le bras et l’entraînai dans une chambre à l’étage, où nous pourrions nous discuter tranquillement. Tandis qu’il s’installait, l’air hagard, je réfléchissais à toute vitesse. Une histoire d’argent ? De vengeance ? D’amour, bien sûr ! Ces humains vivaient moins d’un siècle et croyaient connaître l’amour ! C’était parfaitement ironique.


L'invention du mensonge


Au fur et à mesure que je parlais, l’histoire s’inventait toute seule. Je savais qu’il ne retiendrait pas grand-chose, et qu’il faudrait souvent lui répéter tout, mais tant mieux, cela me permettrait de faire évoluer l’histoire selon mes besoins, de corriger mes erreurs. L’humain semblait perdu, mais crédule. Je le lançais à la recherche d’une personne inexistante. Cela me permettrait de garder un œil sur lui, de donner un sens à sa misérable existence, et de temps en temps, de lui faire accomplir quelque chose pour moi… gratuitement.

Et qui sait, peut-être au final, servira-t-il tout de même à notre plan ?


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